Des professeurs des écoles, accueillant des élèves allophones dans leur classe, parlent de leur expérience*
* témoignages parus dans le magazine La Classe, n°246, 02/2014
Benoît Koefer, CM2
« Au niveau de la gestion de l’espace, je place l’élève près de mon bureau pour favoriser son écoute, qu’il entende mieux les mots que je m’efforce de prononcer le plus distinctement possible. Je commente également mes propres actions pour qu’il apprenne facilement le vocabulaire de tous les jours.
Lorsque l’élève est en binôme, par exemple en sport, je demande à son camarade de nommer le matériel qu’ils doivent tous deux mettre en place et ranger, afin qu’il intègre le lexique en situation. Il faut toujours privilégier l’expérience vécue et le langage en situation : lorsque je dis « Je prends le cahier », j’accompagne systématique cette parole de l’action correspondante.
Je favorise l’autonomie de l’élève à certains moments, ce qui permet de ne pas être moi-même accaparé tout le temps. Je lui prépare notamment un sous-main avec l’alphabet et les nombres (en chiffres et en lettres) ainsi qu’un référent imagé des consignes, du matériel de classe et des couleurs. Avant de démarrer un exercice en autonomie, je place un jeton sur la consigne – « je souligne », par exemple – pour que l’élève sache ce que j’attends de lui. »
Céline Rapp, CM1
« Je garde toujours à l’esprit que ce sont des enfants qui vont très vite se fatiguer, parce que c’est très difficile, du point de vue de l’attention, de devoir parler et apprendre toute la journée dans une autre langue.
Au niveau des disciplines scolaires, il ne faut pas oublier que les maths nécessitent la maîtrise d’un lexique spécifique que j’intègre au sous-main.
Je laisse certaines matières de côté comme l’histoire-géographie parce que les séances sont très compliquées à comprendre dans une langue qu’on ne maîtrise pas bien. En revanche, je ne prive jamais l’enfant de sport, d’arts visuels, de musique, parce que je suis plus facilement disponible pour parler avec lui, et la musique notamment permet de mieux apprendre la langue, avec le travail sur l’intonation et le rythme de la parole. »
Amélie Corduan, école maternelle
« Le contact avec les parents est essentiel : l’école n’a pas toujours la même valeur selon les pays d’origine, je peux me retrouver parfois face à beaucoup d’absentéisme ; je devine souvent une vie sociale difficile derrière des arrivées précipitées, des élèves pas forcément scolarisés avant d’arriver en France, ou encore des parents qui ont souvent peur de l’école, représentante d’une institution et d’une administration qui peuvent les malmener.
Je n’hésite pas à me présenter, à communiquer et à montrer ce que l’on fait dans la classe. Cela permet d’éviter que l’enfant fasse un blocage en ayant peur de trahir sa première langue et sa première culture, qu’il se braque et rechigne à apprendre sa nouvelle langue.
Le plus important à mes yeux : ne pas se fixer des objectifs de dingue en termes d’apprentissages, ne pas tenter de gaver l’enfant comme une oie ; l’essentiel, c’est qu’il se sente bien dans l’école française, et de créer un état d’esprit favorisant les apprentissages. »
Marie Haffner, CP
« Pour me faire comprendre et faire entrer l’élève dans la langue française, j’use et abuse de la répétition : je répète moi-même ce que je dis pour que l’élève comprenne bien, et je lui fais répéter plusieurs fois les phrases que je lui apprends. Je donne toujours les noms communs avec leur déterminant, parce qu’il y a beaucoup de langues sans déterminants, c’est un apprentissage difficile pour les élèves concernés.
Il faut segmenter les unités de sens parce que la chaîne orale ne correspond pas toujours à l’écrit ; dans le même temps, l’oral doit être soutenu par des supports écrits afin de multiplier les canaux d’apprentissage. C’est une attention qui s’applique bien entendu à tous les élèves, mais c’est d’autant plus important pour ceux qui entrent dans la langue française.
Je me montre exigeante dès le départ pour éviter que l’élève reste enfermé dans des formulations relevant d’un français approximatif. »
Virginie Véronèse, CP/CE1
« Tout d’abord, lorsque j’accueille un enfant étranger, je présente aux autres élèves la différence linguistique comme un enrichissement pour la classe ; il ne faut que l’enfant se sente obligé de renier une partie de lui-même à l’école, de sa culture, mais le français doit être présenté comme la langue de l’école.
Je le laisse dire un certain nombre de choses dans sa langue, je lui rappelle qu’il doit parler en français mais je ne le pénalise pas, et si je connais un peu sa langue, je lui donne la traduction du mot qu’il cherche tout en faisant l’aller et retour entre les deux langues.
On peut favoriser l’intégration de l’enfant en lui demandant d’apprendre à toute la classe une chanson dans sa langue, comme « Joyeux anniversaire ». S’il y a un autre enfant qui parle la même langue dans la classe, il faut fixer les règles : ils peuvent parler dans leur langue en dehors de la classe, et dans la classe avec parcimonie quand il y a un besoin de compréhension ou si cela peut me soulager pour passer une consigne ou expliquer quelque chose que je ne réussis pas à faire comprendre. Mais je fais attention à ne pas mettre l’autre élève dans une responsabilité trop grande, il doit pouvoir garder sa place d’élève et d’enfant (d’autant plus que ces enfants sont déjà souvent des traducteurs pour leurs parents). »